Midnight special
USA / 2016 / 112' / fiction / fantastique / 1.66 / couleur
Lycéens et apprentis au cinéma 2021-2022
L'histoire
Quelque part dans le Sud des États-Unis,
une voiture file dans la nuit.
Accompagné de son ami Lucas, Roy Tomlin s'est échappé d'une étrange secte, pour en libérer
son fils Alton. L'enfant est considéré par la secte comme un messie.
Le FBI, également aux trousses des trois fugitifs,
le considère comme une menace pour la sécurité nationale. Et l'enfant, trimballé d'une voiture à une chambre de motel,est bel et bien différent.
Est-il un dieu ? Un monstre ? Un super-héros ? Quand ses yeux font jaillir une lumière aveuglante, ou quand il fait apparaître d'irradiantes visions futuristes, est-il encore un enfant ?
Il faudra traverser aux héros de nombreuses épreuves pour le savoir enfin.
Fiche technique
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Scénario et Réalisation Jeff Nichols
Avec Michael Shannon, Joel Edgerton,
Image Adam Stone
Montage Julie Monroe
Musique David Wingo
Production Warner Bros.
Distribution France Warner Bros. France
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Tournant pour la première fois pour un grand studio hollywoodien, la Warner Bros., Jeff Nichols n'a pas renoncé à ses prérogatives
de cinéaste indépendant. Impressionné par son précédent film, le studio a consenti à ne pas intervenir sur le scénario et à céder à Nichols
le final cut — soit la version définitive du montage. Plus inhabituel encore : il a eu un droit de regard sur la bande-annonce. Il suffit de la visionner pour constater qu'elle fonctionne différemment des trailers auxquels nous a habitués Hollywood récemment, et qui ont généralement la même tendance à dévoiler des moments importants de l'intrigue des films.
Ici la bande-annonce se contente, avec justesse, de montrer le début de Midnight Special puis d'assembler plusieurs moments forts du film
en un télescopage purement poétique et très peu explicatif. Le spectateur en ressort électrisé et d'autant plus curieux qu'on ne lui a guère donné
à goûter qu'une atmosphère, et qu'on lui laisse le loisir d'imaginer ce que cache tant de mystère.
Le réalisateur
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Il a suffi de deux films, il est vrai éblouissants (Shotgun Stories en 2007, et Take Shelter qui fit impression en 2011 à la Quinzaine des Réalisateurs du Festival de Cannes), pour faire de Jeff Nichols l'un des cinéastes américains les plus prometteurs de sa génération. Il n'en a pas fallu plus pour identifier en lui un véritable auteur, tant ce double coup d'essai avait valeur de programme, annonçant des thèmes et une esthétique que les films suivants n'ont fait que renforcer.
Le cadre où se déroulent ces films est la première chose à faire oeuvre. Arkansas (Shotgun Stories et Mud), Virginie (Loving), Texas, Louisiane, Floride et Caroline (Midnight Special) : à l'exception de Take Shelter, tourné dans l'Ohio voisin, le Sud des États-Unis est la toile de fond de toute la filmographie de Jeff Nichols, lui-même né (en 1978) à Little Rock dans l'Arkansas, et installé aujourd'hui à Austin, Texas, après avoir étudié le cinéma à la North Carolina School of the Arts.
C'est plus qu'une affaire de décor : nourris par une singulière tradition, ces paysages le sont aussi par les souvenirs de Nichols, et l'on devine une manière de fidélité à sa propre enfance dans le soin qu'il met à peindre cette Amérique rurale et modeste. Qu'il ait quitté les rives du cinéma indépendant n'y change rien : son pro-chain film, Alien Nation, produit par la Fox tout juste rachetée par Disney, se déroulera en Arkansas.
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UN ANTI-BLOCKBUSTER ?
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Sorti en 2016, Midnight Special file à toute allure, contient son lot d'effets spéciaux, et son histoire pourrait être celle de l'un de ces blockbusters hollywoodiens qu'il n'est pas.
Son rythme, s'il est effréné, n'est en effet pas celui d'Avengers.
C'est une autre respiration, calée plutôt sur les émotions de ses personnages dépassés par la situation, et tournée moins vers le cinéma hollywoodien d'aujourd'hui qu'en direction des tout premiers blockbusters, ceux que réalisait Steven Spielberg au début des années 1980. Moins une affaire d'héroïsme qu'une affaire de famille, et une affaire de croyance.
INFLUENCES
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Tout cinéaste est influencé par les films avec lesquels il a grandi. C'est d'autant plus évident ici que Jeff Nichols dit s'être inspiré en partie,
pour Midnight Special, de deux films qui ont marqué son enfance : E.T. de Steven Spielberg (1982), et Starman de John Carpenter (1984).
Leur écho est très net sur le scénario, puisque leurs héros, eux aussi traqués par le gouvernement, s'y efforçaient déjà de protéger un être venu d'ailleurs. Et, tout comme eux, le film de Nichols cache une trame très sentimentale et volontiers allégorique derrière les codes du film de genre.
On pourra également relever quelques citations explicites, à commencer par les rayons bleus jaillissant des yeux d'Alton, qui ont été directement inspirés par les effets spéciaux de Starman — de même que l'utilisation de la lumière renvoie sans détour à un autre film de Spielberg,
Rencontres du troisième type (1977).
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Pour autant, et s'il souhaitait retrouver quelque chose de l'émotion que lui avaient procurée ces modèles, il ne s'agissait pas seulement pour Nichols de leur rendre hommage, et encore moins d'en réaliser un simple décalque. En outre, on pourrait énumérer de nombreux films dans lesquels, comme ici, un enfant hors du commun montre la voie aux adultes. C'est même une idée récurrente du cinéma fantastique que de figurer l'enfance comme un monde à part, aussi mystérieux aux yeux des adultes que le serait une galaxie lointaine.
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LUMIÈRES
Dans Midnight Special, la lumière est un peu plus que cette denrée élémentaire du cinéma,commune à tous les films.
Elle constitue ici, du fait du récit, un motif à part entière.
Alton est ainsi à la fois un personnage privé de lumière (les rayons du soleil pourraient le tuer), et son incarnation même.
Une scène importante le dit très clairement, au milieu du film, qui révèle aux autres personnages la véritable condition d'Alton. Guéri de son allergie mortelle, l'enfant retire les pans de carton qu'on avait fixés, pour le protéger, sur la fenêtre de la chambre du motel.
Il se retourne alors et, dans cette position, paraît être l 'émanation du rayon qui passe entre les cartons :
la fenêtre est comme un projecteur — et Alton, si l'on suit cette logique, devient la personnification du cinéma lui-même.
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Ce motif (un trait de lumière dessiné dans la pénombre) traverse tout le film. On le retrouve évidemment dans les rayons éblouissants qui surgissent parfois des yeux d'Alton, mais aussi avec les phares de la voiture lancée dans la nuit, ou encore avec la lampe de poche que l'enfant pointe
sur ses bandes dessinées pour lire dans le noir.
“Même si mes films parlent de la peur et partent des ténèbres, ils essaient de les percer par la lumière“, raconte Jeff Nichols.
Cela explique aussi pourquoi le film est envahi de ces petits halos lumineux que l'on appelle “lens flares“ et qui étaient monnaie courante
dans les films qui ont inspiré Midnight Special.
SUR LA ROUTE
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“La première image qui m'est venue était celle de deux types dans une voiture, lancés la nuit sur les routes du Sud, tous phares éteints
et à grande vitesse.“ Ce que Jeff Nichols décrit là, c'est le principe même de ce qu'on appelle le road movie.
Soit un film dont le récit épouse le rythme d'un voyage, généralement en voiture, et structuré autour de quelques passages obligés :
alternance de scènes en voiture et d'arrêts dans des motels ou des stations-service, scènes de poursuite, études de cartes, etc.
Pourquoi ce genre est-il si électrisant ? Pourquoi suffit-il en effet de “deux types dans une voiture“ pour faire un film ?
Peut-être parce que quelque chose dans ces films nous renvoie à l'essence même du cinéma.
Sur son siège, le spectateur regarde défiler les images sur l'écran comme les personnages regardent le monde défiler à travers une vitre
ou un pare-brise — les uns et les autres font le même genre de voyage immobile. Et la route qui défile à l'image n'est pas sans rappeler
le défilement de la pellicule dans le projecteur…
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La fin
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INQUIÉTUDES PATERNELLES
Midnight Special est le quatrième film deJeff Nichols, jeune cinéaste américain qui a fait des débuts remarqués du côté du cinéma indépendant.
C'est son deuxième film, Take Shelter, qui l'a révélé en France lors de son passage au Festival de Cannes en 2011. Il n'est pas étonnant que la toute dernière image de ce film annonce celle quir efermera Midnight Special cinq ans plus tard. Car si Midnight Special franchit plus explicitement le pas
du genre fantastique, les deux films ont en commun un personnage de père tourmenté, joué par le même Michael Shannon.
Dans Take Shelter, celui-ci est hanté par des visions d'apocalypse, et se met en tête de protéger sa femme et sa fille contre un fléau qu'il est le seul à voir venir. Est-il un fou ou un visionnaire ? Si le personnage de Roy dans Midnight Special hérite d'une obsession proche (et d'un regard identiquement tourné vers le ciel), c'est peut-être parce que Jeff Nichols s'est appuyé, dans les deux cas, sur sa propre expérience paternelle.
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“Take Shelter, explique-t-il, avait été écrit par un homme sur le point de devenir père, et traitait des angoisses afférentes, tandis que Midnight Special
l'a été par un homme qui venait juste d'être père. J'ai réalisé à cette occasion qu'avoir un enfantv ous oblige à abandonner une part de vous-même
à l'univers. (…) C'est un sentiment désarmant,de savoir qu'il y a désormais dans votre vie cet être pour lequel vous êtes prêt à tout,
mais sur lequel au fond vous n'avez aucun contrôle.“
UN FILM OBSCUR
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Le film commence tandis que les fugitifs, tout juste réveillés, quittent la chambre d'un motel à la tombée du jour pour reprendre la route.
Il suffirait alors d'un peu d'inattention pour confondre ce crépuscule avec une aurore. Roy, Lucas et Alton vivent sur un rythme inversé :
puisque l'enfant ne supporte pas la lumière du soleil, il leur faut attendre la nuit pour rouler. Le film, qui nous immerge alors littéralement
dans la nuit (pour éviter d'être repéré, Lucas roule tous feux éteints), y gagne une atmosphère somnambulique, et d'autant plus mystérieuse
que son récit laisse beaucoup de questions en suspens.
Ainsi cette plongée inaugurale dans la nuit a-t-elle lieu alors que le spectateur ne connaît à peu près rien de la situation et des personnages.
Au fur et à mesure, la suite du film aidera à résoudre une part de ces énigmes, mais une part seulement.
D'autant qu'aucun flashback ne viendra éclairer les événements.
“Ces ambiguïtés, cette tension,c'est essentiel pour moi, c'est ce qui fait toute la puissance d'une histoire, explique Jeff Nichols. C'est une manière d'activer l'imagination, de réveiller les esprits, en cheminant d'une question à l'autre, sans marteler les réponses.“
Partagé entre les élans de sa propre imagination et la tension diffuse qu'inspire cette frustration de ne pas tout savoir, le spectateur se retrouve
ainsi beaucoup plus impliqué que s'il avait toutes les cartes en main.
L'ANALYSE DE SÉQUENCE : SÉQUENCE 1, “ACCÉLÉRATIONS“
L'ouverture minimaliste de Midnight Spécial met le spectateur dans un état de tension d'autant plus grand qu'il y est condamné à être en retard sur les personnages,
et ballotté entre des impressions contradictoires :
intimité en même temps que distance avec la situation, douceur et violence latente, commencement (d'un voyage) et fin (de la journée)…
L'ambition est ici avant tout cinétique : il s'agit de communiquer un mouvement, une pulsation (l'écho des notes de piano a quelque chose d'un sourd battement
de coeur), un élan voué à aspirer le spectateur dans la trajectoire du film.
C'est une mise en route littérale, structurée par quatre paliers d'accélération.
POUR ALLER PLUS LOIN
QUATRE FILMS
• Take Shelter (2012) de Jeff Nichols, DVD et Blu-ray, Ad Vitam.
• Rencontres du troisième type (1977) de Steven Spielberg, DVD et Blu-ray, Sony Pictures.
• Starman (1984) de John Carpenter, DVD et Blu-ray, Sony Pictures.
• Incassable (2000) de M. Night Shyamalan, DVD et Blu-ray, Touchstone Home Video.
UN LIVRE
• Charlie (1980) de Stephen King, le Livre de Poche, 2007.
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TRANSMETTRE LE CINÉMA
Des extraits de films, des vidéos pédagogiques, des entretiens avec des réalisateurs et des professionels du cinéma.
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