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Mélange des genres

Une selection de courts-métrages

Lycéens et apprentis au cinéma 2022-2023

La question du genre

 

La notion de genres cinématographiques permet de classer les films en grandes catégories génériques. En fonction de certaines caractéristiques, on rangera par exemple ce film dans la case des films d’horreur, cet autre film dans la case des comédies romantiques, cet autre encore dans la case du cinéma de science-fiction. Cependant, il est important de préciser que ce n’est pas le genre qui définit le film : il est plutôt une manière d’en interroger les enjeux et les choix esthétiques et narratifs. La notion de genre n’a pas vocation à enfermer les films dans des prés carrés, mais cherche davantage à créer des liens d’analogie, de correspondance et de familiarité entre les objets. Aucune frontière nette ne sépare un genre d’un autre et, dans les faits, les échanges sont multiples — les genres ne cessent de se croiser et de se combiner (un film d’horreur peut aussi être un film comique, une romance peut aussi être un film social, etc.). C’est pour rendre compte de cette pluralité d’expressions que nous avons choisi de réunir en un seul corpus cinq courts métrages, qui offrent en moins de deux heures un panorama de ce que la création contemporaine peut offrir de plus varié. Un corpus qui mêle documentaire et fiction, animation et prise de vues réelles, histoires linéaires et récits discontinus, films au présent et films au passé, personnages vieux et jeunes, ton grave et ambiance légère. Un corpus qui montre, surtout, que la notion de genres continue d’être pertinente parce qu’elle continue d’évoluer. Ces cinq oeuvres très différentes empruntent ainsi tous à des genres divers, bricolant leur identité à partir d’influences et de thématiques très disparates. En d’autres termes : chaque film est en soi un mélange des genres.

Un documentaire animé sur le fonctionnement de la mémoire

Guaxuma est le nom d’une plage du Nord-Est du Brésil, où la réalisatrice Nara
Normande passa la majeure partie de son enfance. Une enfance très libre, durant laquelle les journées étaient presque exclusivement consacrées à la baignade, au jeu et à la camaraderie.
À travers ce film, la réalisatrice cherche à dépeindre par le filtre du souvenir ce paradis terrestre, qui attira dans les années 1980 de nombreux Brésiliens. Caractérisé par une esthétique tout à fait étonnante, Guaxuma est ce qu’on nomme un

« documentaire animé », appellation paradoxale au sens où un documentaire, qui a pour mission de rendre compte du réel, du vrai, semble par définition incompatible avec l’animation, qui est par nature artificielle. Rappelons qu’une partie de la légitimité du documentaire repose sur le caractère authentique, censément non fabriqué de ses images — un documentaire est aussi une archive, une preuve de ce qui a été. Avec sa plastique mêlant le fixe (les photographies d’enfance de la réalisatrice) et l’animé (différentes techniques à base de sable se passent le relais au cours du film), Guaxuma assume une forme expérimentale, qui cherche en fait à traduire le fonctionnement particulier de la mémoire. Proche du journal intime, ce film à la première personne est accompagné en off par la voix de la réalisatrice, qui remonte avec nous à la source d’un passé idéalisé qu’il s’agit de reconstituer de manière composite, mouvante. C’est que la mémoire n’est pas faite d’un bloc. Elle est une construction hybride, faite de choses vécues, remémorées, et d’autres qui semblent davantage fantasmées, imaginées, fabriquées. Le film mélange ainsi les techniques d’animation pour rendre compte d’un esprit en perpétuelle reconstruction — un esprit qui n’est pas cohérent mais qui mélange, combine, brasse de manière chaotique les éléments entre eux. Ce chaos n’a rien de gratuit puisque si cet esprit doit se reconstruire, c’est parce qu’on apprendra qu’il vient de subir un traumatisme, lequel sert de boussole sentimentale à ce voyage mélancolique sur l’impossibilité de rattraper le temps perdu.

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La réalisatrice

Née à Guaxuma, au Brésil, Nara Normande s’installe ensuite à Recife, berceau d’une nouvelle génération de cinéastes brésiliens, où elle commence à s’intéresser au cinéma. Elle réalise un premier film en stop motion, Dia Estrelado, qui est diffusé pour la première fois en 2011 et remporte de nombreux prix à travers le monde. Elle co-réalise ensuite avec le cinéaste Tião un premier film en prise de vue réelle, Sém Coração. Guaxuma est son troisième film.

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Le conflit entre art et politique sur fond de pastiche historique

L’Esprit du loup revient sur la nuit décisive qui décida le réalisateur Fritz Lang à fuir l’Allemagne nazie — après avoir refusé les rênes du cinéma allemand, récemment passé sous la coupe d’Adolf Hitler. Nous sommes en avril 1933, le parti national-socialiste est au pouvoir depuis quelques semaines seulement, et le chancelier du Reich a confié à Joseph Goebbels le soin de gérer la propagande du parti. Le jeune ministre croit plus que quiconque en la puissance de suggestion et de stupéfaction du cinéma, et cherche donc à s’offrir les services de sa figure la plus talentueuse — la plus adulée aussi : Fritz Lang, le réalisateur de chefs-d’oeuvre comme Metropolis (1927) ou M le Maudit (1931). Cette rencontre entre Lang et Goebbels a nourri de nombreux fantasmes et fut racontée pour la première fois par Lang en 1974. Tout en matérialisant cette anecdote mythique, L’Esprit du loup souhaite rendre un hommage esthétique au cinéaste qu’il met en scène. Ainsi le film est-il une reconstitution historique glissant volontiers vers une forme de pastiche — terme désignant le fait pour une oeuvre de s’employer à l’imitation d’une autre oeuvre, d’un artiste illustre ou bien d’un courant cinématographique. De la sorte, la mise en scène de L’Esprit du loup renoue avec les grands principes de l’expressionnisme allemand. Ce courant cinématographique des années 1920, dont Lang fut l’un des grands représentants, se caractérise par des décors et des lumières stylisés, qui viennent traduire l’état d’esprit souvent tourmenté des personnages. Au-delà des signes plastiques de reconnaissance (noir et blanc contrasté, jeux d’ombre, sophistication géométrique), l’expressionnisme de L’Esprit du loup tient à cette manière d’envisager les lieux comme des espaces mentaux, qui rejouent visuellement les enjeux psychologiques de l’histoire. Lang, figure toute-puissante que l’avènement des nazis fait vaciller, progresse d’abord à travers un couloir aux airs de labyrinthe, sans savoir exactement où il se rend — sans savoir non plus s’il pourra en sortir. Goebbels, figure trouble, l’accueille quant à lui dans un appartement à son image : raffiné mais sombre, comme coupé du monde. Chaque fois, le décor et son utilisation font donc sens, conférant quelque chose de violent à ce duel faussement policé entre un artiste et un politicien.

L'ESPRIT DU LOUP

Fiche technique

2015, 18 minutes,

Allemagne, France, Suisse,

langue allemande
Format : 2:35:1 — Noir et blanc
Réalisation : Katia Scarton-Kim
Production : Bagan Films
Interprétation : Jochen Hägele (F. Lang),

Arndt Schwering- Sohnrey (Goebbels),

Gintare Parulyte (Gerda Maurus)

 

 

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La réalisatrice

Après des études au Conservatoire National d’Art Dramatique de Lausanne, Katia Scarton-Kim travaille pour différentes compagnies théâtrales, entre la France et la Suisse, où elle joue Molière, Claudel, Racine, Musset, etc. En 2001, elle assume sa première mise en scène avec Suréna de Corneille. Elle passe à la réalisation de fiction en 2004 avec Kristal, et continue aujourd’hui de mener de front une triple carrière de comédienne, de metteuse en scène et de cinéaste.

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Une satire absurde mais vraie de la guerre froide

« La réalité dépasse la fiction », dit l’adage. En voici un terrible exemple avec le projet Acoustic Kitty, qui fait partie de cette catégorie d’histoires totalement extravagantes, que seule la bêtise de l’homme est en mesure d’inventer. Une histoire conçue dans les sous-sols de la CIA dans les années 1960 et déclassifiée en 2001, dont l’absurdité a motivé une adaptation animée. Ron Dyens, le réalisateur, confesse à ce titre n’avoir pas eu besoin de pousser loin le curseur de l’imagination pour nourrir cette fiction. À peine croyable, le programme Acoustic Kitty avait pour objectif d’espionner l’ennemi soviétique par l’intermédiaire de chats, à l’intérieur desquels avaient été intégrés un micro, un transmetteur et une antenne radio, et qui étaient ensuite dressés pour être guidés à distance. Coeur du dispositif, un microphone enregistrait les bruits et paroles autour du félin et les transmettaient directement aux agents par ondes radio. Après plus de 15 millions de dollars de dépense et différents camouflets, la CIA décida d’abandonner le programme en 1967. Cette anecdote ubuesque est révélatrice de la course à l’échalote à laquelle se sont livrées l’Amérique et l’U.R.S.S. après la Seconde Guerre Mondiale. Ce duel à distance, véritable bras de fer économique, technologique et culturel entre les deux superpuissances, est devenu une source inépuisable d’inspiration pour le cinéma. Conservant l’essentiel des faits, Acoustic Kitty est une reconstitution historique qui tend sensiblement vers la satire. Longtemps utilisée pour contourner la censure, la satire est un type d’histoires à visée critique, qui s’emploie à pointer les défauts du genre humain en employant les outils de l’outrance, de l’ironie et de l’absurde. Il s’agit de révéler la vérité dérangeante de certains comportements en les habillant de bouffonnerie. Dans Acoustic Kitty, cette dimension satirique se retrouve par exemple dans la caractérisation archétypale des personnages : le président Kennedy est imbu de lui-même, les généraux sont des va-t-en-guerre sans discernement, le scientifique est un savant fou aveuglé par la réussite de son projet. Soixante ans après les événements, et alors que le spectre de la Guerre Froide crispe à nouveau nos sociétés, Acoustic Kitty révèle ainsi l’inquiétant fond de bêtise pulsionnelle qui motive parfois les décisions de ceux qui nous gouvernent.

ACOUSTIC KITTY

Fiche technique

2014, 12 min, France,

langue anglaise
Format : 1.85:1, couleur
Réalisation : Ron Dyens
Production : Sacrebleu Productions
Voix : David Gasman, Nathaniel Symes,
Jonathan Waite, Trevor Boot,

Chantal Richard

 

 

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Le réalisateur

Diplômé en lettres modernes, Ron Dyens a d’abord été directeur d’un cinéma dans le 10e arrondissement de Paris. En parallèle de cette activité, il crée en 1999 une société de production dédiée au court métrage, Sacrebleu Productions. D’abord spécialisée dans la fiction, la société se diversifie ensuite dans l’animation, puis le documentaire. Producteur de plusieurs dizaines de films, Ron Dyens est aussi réalisateur. Il est à ce jour l’auteur de six courts métrages.

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Une selection de courts-métrages

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Une expérience sensorielle dans la peau d’un voyeur

On serait bien en peine de définir précisément le sujet de Riviera, qui appartient à une catégorie de films qu’on qualifie parfois « d’ambiance », « d’atmosphère ». Des qualificatifs bien vagues, auxquels on a tendance à se raccrocher dès lors qu’un récit s’éloigne de la dramaturgie usuelle : un personnage rencontre un problème, le résout, et ressort de l’expérience transformé. Or, dans Riviera, tout semble au contraire prisonnier d’un état stagnant : le bourdonnement des cigales est perpétuel, les événements se répètent, et le récit se retrouve à faire du surplace, comme transi par la chaleur de l’été. Rendre compte de cette chaleur — une chaleur si écrasante qu’elle parait mettre le monde sur pause — est l’un des enjeux les plus prégnants du film, qui privilégie donc au registre de la narration celui de l’observation. Observation d’un microcosme à la fois grouillant et à l’arrêt, qu’on ausculte majoritairement depuis le point de vue du mystérieux M. Henriet. Tapi dans l’ombre de son appartement, ce vieillard solitaire épie sans cesse l’environnement à travers des jumelles, qui lui permettent notamment de scruter les faits et gestes des autres résidents. Le film nous place régulièrement dans la position de ce « voyeur » mutique, sans qu’on ne sache jamais vraiment quelle curiosité ce retraité cherche à satisfaire. Mais peut-être, là encore, n’est-ce pas le sujet ? Plutôt que de faire référence à celui qu’on pourrait prendre pour le personnage principal, le titre Riviera renvoie ainsi au lieu, à cette résidence qui est comme un vivarium où cohabitent différentes espèces — insectes, animaux, hommes et femmes de tous les âges. D’une grande simplicité apparente, ce film d’animation est en fait plein de paradoxes. Par exemple, la moiteur et la torpeur de cet après-midi caniculaire se traduisent par un style graphique très froid — noir et blanc qui décline toutes les nuances de gris, traits fins et épurés, qui rapprochent le film d’un dessin au fusain, voire d’un croquis. Mais si son esthétique se veut minimaliste, épurée, Riviera dégage malgré tout quelque chose de charnel, d’organique — et notamment grâce au son, qui enveloppe d’une couche de vivant (chant des cigales, bourdonnement d’une mouche errante, chien qui aboie) ce tableau estival figé, où les effluves de vie et mort s’entremêlent pour composer une troublante expérience sensorielle.

RIVIERA

Fiche technique

2018, 15 min, France
Format : 1.85:1 - noir et blanc
Réalisation : Jonas Schloesing
Production : Ikki Films
Comédiens : François Small (M. Henriet),
Laura Fix (Lucie)

 

 

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Le réalisateur

Jonas Schloesing entre en 2007 à l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris, où il intègre la section d’animation. Durant cette formation, il réalise plusieurs films d’animation, dont son court métrage de fin d’étude, Je ne suis personne, qui sera sélectionné dans plusieurs festivals. Tout en concevant ses propres films, Jonas Schloesing continue de collaborer comme animateur sur d’autres projets. Riviera est son premier film réalisé hors cursus scolaire.

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La fin

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Un récit de transformation entre film d’horreur et teen movie

 

Jeune collégienne au style garçon manqué, Justine passe ses journées avec sa bande de copains à embêter les autres filles. Une nuit, celle qui se fait appeler Junior tombe malade et se retrouve obligée de rester chez elle. Mais la gastro-entérite qu’on lui a diagnostiquée s’accompagne de symptômes étranges : la jeune fille pèle, et elle découvre dans son dos une énorme entaille qui laisse entrevoir sa colonne vertébrale… Objet à la fois hilarant et écoeurant, Junior nous place dans l’intimité d’un corps qui se transforme. Le film s’amuse à exposer, en l’exagérant, tout ce que le quotidien d’un corps peut avoir de monstrueux, d’inquiétant, d’instable. Morceaux de peau qu’on arrache, colonne vertébrale qui transperce l’épiderme, sécrétions qui inondent le lit : le récit est généreux en petits événements organiques répugnants, qui ponctuent la mutation de Justine. Le corps s’y offre en spectacle en exposant tous ses accidents de parcours, avec pour effet de susciter le dégoût — mais aussi le plaisir — de son spectateur. Junior renvoie ainsi à un sous-genre du cinéma d’horreur qu’on appelle le body horror (qu’on pourrait traduire par : « l’horreur corporelle »). Plus précisément, Junior peut être vu comme une relecture adolescente d’un chef-d’oeuvre emblématique du genre, La Mouche (1986) de David Cronenberg, qui accompagne le calvaire d’un scientifique se transformant progressivement en mouche suite à une expérience. Sauf que la tragédie de la transformation, qui faisait disparaitre peu à peu l’humanité du personnage, devient dans Junior une découverte d’abord déstabilisante mais finalement heureuse de la puberté, qui va permettre à une jeune fille de conquérir sa féminité et de gagner en puissance. Au diapason de ce personnage en évolution constante, le film lui-même opère constamment des mues, glissant sans transition du teen movie au film d’horreur, du film d’horreur au film surnaturel, du film surnaturel à la comédie romantique. L’effroi y rencontre souvent le rire, comme pour signifier le mélange de violence et de cocasserie qui se joue constamment à cette période de l’existence.

JUNIOR

Fiche technique

2011, 21 minutes, France
Format : 1.85:1, couleur
Réalisation : Julia Ducournau
Production : Kazak Productions
Interprétation : Garance Marillier

(Justine/Junior),

Yacine N’Diaye (Karim),

 

 

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La réalisatrice

 

Après des études universitaires de lettres modernes et d’anglais, Julia Ducournau intègre en 2004 l’école de cinéma La Fémis dans le département scénario. En 2011, elle réalise son premier court-métrage professionnel, Junior, qui connait un certain succès à la Semaine de la critique de Cannes. On la retrouve cinq ans plus tard dans cette même sélection avec son premier long-métrage, Grave, dont le succès critique et public initie une ascension fulgurante. En 2021, Julia Ducournau remporte ainsi la Palme d’or avec son deuxième long-métrage, Titane.

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