De battre mon coeur s'est arrêté
La suite
Lycéens et apprentis au cinéma 2024-2025
Un film sensitif
De battre mon coeur s’est arrêté s’inscrit à la croisée de deux genres : le thriller et le récit d’apprentissage. Deux fils narratifs s’y entremêlent. Le premier se raccroche à un schéma familier du film noir : un engrenage fatal mènera à la mort du père et à un désir – contrarié – de vengeance. Le second, plus intime et plus introspectif, rend compte des doutes de Tom,
le personnage interprété par Romain Duris. Ces deux lignes de narration vont clairement entrer en conflit lors du dénouement du film, où le « Tom mélomane » prend le pas sur le
« Tom vengeur de son père ». Comment cette mutation a-t-elle eu lieu ? De battre… réussit un tour de force : c’est un film qui donne l’impression d’être réellement dans la tête de son personnage principal, mais qui ne recourt pas à l’artifice d’une voix off. À l’explication psychologique, le film privilégie la sensation. Tom est un personnage nerveux et fébrile ; même s’il n’apparaît pas, de prime abord, d’une grande sensibilité, il est un être extrêmement sensitif, traversé par des émotions contraires qui l’ébranlent jusqu’au plus profond de
lui-même. Comment percevons-nous ces courants par les seuls moyens du cinéma ? D’abord par une caméra portée qui colle au plus près de ses pas. Ses déplacements incessants donnent le rythme premier du film. Ensuite par le travail de l’image, qui recourt souvent au clair-obscur comme au contre-jour et maintient une atmosphère proche du rêve. Quant au son, il travaille sur le contraste entre les envolées musicales et des dialogues volontairement secs. Comme dans un précédent film de Jacques Audiard, Sur mes lèvres (2001), la bande son a aussi une composante subjective et se cale sur l’audition de Tom, particulièrement dans les moments où il se retranche volontairement dans sa bulle. Par ces variations perceptives s’opère la transformation d’un héros qui se sentira, à la fin, un autre homme.
Paroles, gestes et musique
La mue de Tom passe évidemment par l’apprentissage de la musique, mais celui-ci ne repose
pas uniquement sur l’acquisition d’une technique. Ce qui se joue au piano dans les scènes récurrentes entre Tom et Miao Lin (Linh Dan Pham) est bien plus profond. Car les personnages doivent aussi composer
avec un paramètre inattendu durant ces leçons : la barrière de la langue. De fait, la musique et ses gestes deviennent un autre mode de communication, celui qui permet à Tom d’accéder à un langage inconnu et,
ce faisant, à une autre perception du monde. On sera donc attentif à la façon dont le langage musical
et le langage corporel entrent en interaction – parfois en conflit, parfois en harmonie – durant ces leçons
de piano si particulières.
Les mains ont la parole
On peut résumer l’interrogation qui traverse Tom durant tout le film par une seule question : que faire de mes mains ? Le motif des gros plans
sur les mains revient fréquemment, mettant en avant différentes facettes de la personnalité du héros : la douceur du toucher quand il caresse
la partition, la nervosité prédatrice de ses doigts crochus quand il imite les mains du pianiste Horowitz vu à la télé, la fragilité inquiète de ses mains menacées par le froid, la rage de ses poings ensanglantés lors du dénouement. Ces variations de motifs sont d’une grande éloquence
et condensent le propos du film. Rien qu’à travers eux, nous comprenons la quête de Tom : vouloir échanger ses poings de truand contre des doigts de pianiste.