Le dictateur
USA / 1940 / 124' / fiction / 35 mm / 1:1,33 / noir et blanc
Lycéens et apprentis au cinéma 2022-2023
L'histoire
Rentré amnésique de la guerre en 1918, un barbier juif découvre à son retour que son pays est désormais gouverné par un dictateur antisémite moustachu et vociférant : Adenoid Hynkel.
De retour dans sa boutique du Ghetto juif,
le barbier se lie d’amitié avec la jeune blanchisseuse Hannah. Le quartier redevient
provisoirement paisible en raison d’un calcul politique du dictateur, mais bientôt les persécutions reprennent. Hannah et le barbier pourront-ils s’exiler à temps dans un pays libre, l’Osterlich, avant qu’Hynkel ne l’envahisse
pour devancer son rival Benzino Napaloni ?
Malgré des mésaventures, la ressemblance
physique entre le barbier et le dictateur changera le destin de l’anonyme et peut-être celui du monde.
Fiche technique
Scénario et Réalisation Charles Chaplin
Avec Charles Chaplin, Jack Oakie, Paulette Goddard
Image Karl Struss et Roland Totheroh
Montage Willard Nico
Musique Meredith Willson, Charles Chaplin
Production Charles Chaplin Productions
Distribution France MK2
La grande histoire et la petite moustache
L’idée du Dictateur est née d’une ressemblance physique, elle-même née d’un vol : celui de la moustache coupée en brosse qu’arborait Charlot, le personnage créé par Chaplin dans les années 1910 et internationalement connu depuis lors. Le voleur s’appelle Adolf Hitler et Chaplin, soucieux des conséquences terribles de son arrivée au pouvoir en 1933 pour l’ensemble du monde, se met à écrire une satire à un moment où l’industrie du cinéma hollywoodienne désapprouve toute critique ouverte du régime nazi. Ce faisant, il signe son premier film véritablement parlant et met en scène pour la dernière fois un personnage proche de Charlot. Au moment de sa sortie fin 1940, Le Dictateur triomphe aux États-Unis (en France, l’Occupation allemande en prive les spectateurs jusqu’en 1945). Le discours final du barbier est à la fois loué pour son humanisme et critiqué pour son artificialité.
Charles Chaplin, un cinéaste
Après une enfance difficile à Londres, Charles Spencer Chaplin (1889-1977) s’est lancé dans la pantomime puis dans le cinéma. À peine installé à Hollywood, il remporte à vingt-cinq ans un succès phénoménal. Il a créé un personnage reconnaissable entre tous à son costume et à ses gestes à la fois touchants et hargneux :
le Petit Vagabond, que les Français surnomment Charlot. Millionnaire, il réalise et produit lui-même ses films. À partir de son premier long métrage, The Kid (1921), son sens du gag inégalé s’augmente d’une veine mélodramatique.
Quand, à la fin des années 1920, le cinéma parlant s’impose, Chaplin freine des quatre fers : il n’utilise le son que par touches dans Les Lumières de la ville (1931) et Les Temps modernes (1936). Sept ans après
Le Dictateur, Chaplin surprend encore en incarnant un tueur en série dans Monsieur Verdoux. Toujours admiré pour son génie comique, Chaplin est aujourd’hui apprécié comme un cinéaste à part entière qui explore
avec une grande efficacité formelle les ressources propres du septième art.
Au commencement
« NOTE : TOUTE RESSEMBLANCE ENTRE LE DICTATEUR ET LE PETIT BARBIER EST PUREMENT ACCIDENTELLE ». Ce texte qui ouvre Le Dictateur s’inspire d’une phrase qu’on lit souvent au début de romans ou de films : « Toute ressemblance avec des personnages existant ou ayant existé serait purement accidentelle ». Elle réaffirme le caractère fictionnel d’une oeuvre pour éviter à son auteur des poursuites judiciaires. Or Chaplin en offre une version parodique : ici, c’est entre deux personnages fictifs qu’il parle de ressemblance accidentelle ! Il omet ainsi de mentionner la ressemblance entre Charlot et Hitler, suggérant que celle-là n’est pas du tout accidentelle.
En évoquant d’emblée la ressemblance entre Hynkel et le barbier, cette note prépare aussi
le spectateur à une utilisation de cette similitude physique dans le récit. Or à quel moment du film cette ressemblance est-elle remarquée ? Par qui ? Quel élément du récit cette reconnaissance amène t-elle ?
Le dictateur
La suite
Lycéens et apprentis au cinéma 2022-2023
Charlot fait sa mue
Qu’arrive-t-il à Charlot dans Le Dictateur ? A priori, il est toujours là : quand le barbier sort de l’hôpital, il porte la veste étriquée et le pantalon trop large, le chapeau et les chaussures du plus célèbre personnage du cinéma muet. D’ailleurs, le barbier est lui-même très peu bavard :
il n’avait pas droit au chapitre à la guerre où, simple soldat, il ne pouvait que recevoir des ordres ; à son retour, les toiles d’araignées qu’il trouve dans sa boutique le laissent sans voix ; et quand Hannah se laisse « raser » par lui dans sa boutique, il la laisse parler toute seule et ne répond que par des sourires et des monosyllabes…
Hynkel, l’autre personnage joué par Charlie Chaplin, compense cette timidité par un goût pour les longs discours publics et les colères volubiles contre son personnel. Mais à y bien regarder, on reconnaît dans les gesticulations du dictateur certains traits des premiers Charlot dans lesquels le Petit Vagabond est volontiers hargneux et concupiscent, jamais avare d’un coup de pied
de côté… Par-delà cette double présence de Charlot via la moustache en brosse et la gestuelle,
le film fait pourtant subir une véritable liquidation à Charlot, qui a valu à Chaplin sa gloire et sa fortune : en prenant enfin la parole face à sa bien-aimée, à l’Osterlich et au spectateur, le barbier met fin au mythe de l’humble little tramp.
Terreur et comique
Comment filmer un discours politique dans un film de fiction ?
Comment faire sentir la dangerosité du dictateur Hitler tout en en tirant le meilleur
effet comique ?
La première invention de Chaplin réside dans la texture sonore du discours lui-même : d’une part, c’est une bouillie langagière qui mêle toux, rots et grognements et prolonge les gags montrant Hynkel comme un corps « déglingué » (il se verse de l’eau dans le pantalon ou boit par l’oreille) : l’orateur est pris dans la surexcitation de sa propre puissance. D’autre part, ce jargon semi-audible contient des mots compréhensibles célébrant la guerre, la haine raciale, la soumission des femmes.
La seconde idée de Chaplin est de parodier dans le décor et les cadrages un célèbre film de propagande nazi, Le Triomphe de la volonté (Leni Riefenstahl, 1935) : architecture monumentale, croix gammée (ici double croix) apposée partout… À cette omniprésence visuelle s’ajoute une utilisation de la radio comme outil de propagande. D’où l’importance du deuxième discours d’Hynkel (voir analyse de séquence), cette fois entendu dans les haut-parleurs du Ghetto : la voix qui vocifère, montée sur des gros plans monstrueux du dictateur,
devient d’une toute-puissance menaçante, violant l’intimité de chaque citoyen.
Duel burlesque
La visite de Napaloni est une parenthèse burlesque dans le récit du Dictateur, un véritable festival de gags aussi « énormes » qu’hilarants.
Ils déploient la rivalité dans l’espace : horizontalement, quand Napaloni guillotine visuellement Hynkel de son salut latéral ;
verticalement, dans la surenchère des fauteuils de coiffeur qui se conclut par une dégringolade d’Hynkel redoublant le crash d’un avion tomanien pendant la revue militaire. La bataille engagée au buffet reprend une vieille ficelle burlesque : la tarte à la crème.
Elle marque l’apogée de la puérilité des chefs d’État, chacun brandissant un aliment caractéristique de sa nation
(Bactérie-Italie : les spaghetti ; Tomanie-Allemagne : la saucisse).
La vidéo pédagogique
Le Cravlor a demandé à Wilfried Jude, réalisateur, de créer une vidéo sur Le Dictateur
Directeur de la publication : Dominique Boutonnat | Propriété : Centre national du cinéma et de l’image animée
12 rue de Lübeck – 75584 Paris Cedex 16 – Tél. : 01 44 34 34 40
Rédacteur en chef : Simon Gilardi, Ciclic.
Rédacteur de la fiche élève : Charlotte Garson
Conception et réalisation : Ciclic (24 rue Renan – 37110 Château-Renault)
Crédit affiche : Léo Kouper.